Voilà un texte qui donne à réfléchir.
En 6 versets, tzak-tzak, voici le malheur de Bartimée résolu : l’aveugle voit !
Et pourtant…
ce texte me donne à réfléchir.
Que se passe-t-il vraiment ici ?
C’est un miracle de Jésus qui nous paraît ultra-classique : situation de base difficile, blocage d’un protagoniste (ici, c’est la vue de Bartimée qui est comme bloquée), intervention de Jésus, et problème résolu.
Mais… si je relis ce texte avec attention…
et que je me mets à la place de Bartimée…
je ne vois pas ce que Jésus a fait pour moi…
regardez vous-mêmes… Jésus m’appelle, moi, l’aveugle, et puis il me questionne, je lui réponds, il répond à ma réponse… mais il ne me fait rien !
Et puis, plus que l’attitude de Jésus, ce qui change pour moi, dans ma vie, c’est le regard que porte la foule sur ma personne. D’abord, on me demande de me taire. On ne veut pas que j’approche Jésus… Comme s’il avait bien mieux à faire, des choses plus importantes, comme enseigner aux foules, parler aux femmes, raconter des paraboles… je n’ai pas dit fariboles, bien que certaines qui me sont venues aux oreilles me paraissent très fantaisistes !!!
Bref, ce Jésus, il est très occupé, il n’a même pas le temps de se reposer. La foule lui demande toujours plus… et lui se donne à ce ministère, il est là pour la foule qui est là pour le voir.
Alors, un pauvre aveugle comme moi… que voulez-vous, aux temps bibliques, pas d’Assurance invalidité pour me prendre en charge, pas de prestations, pas d’asile des aveugles… niveau social, la Galilée en 30… c’était plutôt proche de zéro ! Donc, je mendie sur le bord du chemin, en espérant que quelqu’un sera assez généreux pour me donner quelques pièces. J’en donne moi-même une partie au temple, mais le reste est pour moi : les moins bons jours, il y a de quoi acheter du pain, et les meilleurs jours, je peux avoir du pain, des lentilles, un peu de viande… et parfois, même du vin, mais cela est rare…
Bref, je m’égare. Je vous disais donc que Jésus est passé par là. Je suis aveugle et pas sourd ! J’avais entendu qu’il faisait des miracles, qu’il avait guéri d’autres handicaps… et, au bruit de la foule, j’avais tout de suite compris qu’il allait passer juste là, devant moi… peut-être pourrait-il faire quelque chose pour moi, le fils de Timée…
Mais là… Je me suis heurté à un mur humain. Alors que j’essayais d’élever la voix pour me faire entendre par le maître… on m’a rabroué. On m’a dit que je faisais trop de bruit. On m’a demandé de la mettre en veilleuse, et même, avec un vocabulaire qui n’a pas été transcrit dans le livre saint qu’est la Bible… on m’a demandé de la boucler ! Bon, j’avoue, mes cris empêchaient peut-être les uns et les autres d’entendre les enseignements de Jésus…
Et là, Jésus m’a entendu ! Peut-être a-t-il l’ouïe très fine, ou peut-être ai-je crié très fort… mais il a demandé que je vienne vers lui. Et ce qui m’a le plus étonné, c’est le regard de la foule que je sentais sur moi.
Quelques secondes plus tôt, on me faisait taire, et là… on m’encourageait, on m’aidait à aller vers Jésus. On m’a guidé pour que je puisse me retrouver face à lui, alors qu’en temps normal, on essayait plutôt que personne ne me voie, moi qui ne voyais personne…
Ni une ni deux, je me lève et me présente devant Jésus. En trois phrases, l’affaire était faite, comme je vous l’ai dit plus haut. Des années dans les ténèbres et tout à coup, la lumière.
Un miracle. Un vrai. Juste pour moi. Du reste, après cela, j’ai suivi Jésus toute sa vie (il ne restait plus beaucoup d’années, il faut bien le dire…). Et après sa mort, j’ai témoigné, jusqu’à la fin de mes jours. Donc cette histoire qui est dans votre Bible, je l’ai polie à force de la répéter, de la raconter.
Et chaque fois que je l’ai racontée, j’y ai vu un autre éclairage.
Et si le miracle ne m’avait pas concerné moi ?
Et si le miracle, ce n’était pas que je voie, ce qui est à peine raconté dans le texte ?
Et si le miracle, la guérison… c’était la foule qui l’avait vécu ?
Cela vous étonne ? Regardez pourtant !
C’est la foule qui change de regard !
C’est la foule qui change tout court : d’abord, elle me rejette, comme si j’étais un rebut de la société. Elle me fait taire. Elle ne veut pas voir l’aveugle que je suis. Elle ne veut pas que mon malheur l’éclabousse, de quelque façon que ce soit. Elle ne veut pas voir la détresse, la misère sociale… C’est une foule. Sans doute y a-t-il là des personnes qui me prendraient en pitié, du reste, je vous l’ai dit, on me donne des piécettes chaque jour, mais dans l’ensemble, on me rejette. La foule, anonyme, me rejette, moi, Bartimée...
Mais avant que mes yeux ne voient, ce sont les yeux de la foule qui s’ouvrent. Elle me voit. Elle ne me rejette plus, elle m’accueille, elle me guide, elle me conduit vers Celui qui l’accueille et qui la guide, vers Jésus. Et tout ça, juste parce que Jésus avait dit deux mots : appelez-le.
Je vis au premier siècle, et vous au XXIe… De quelle guérison avez-vous besoin ? Ou pour le dire autrement, de qui êtes-vous les héritiers, de qui portez-vous l’écho ?
Etes-vous comme moi ? Criez-vous aussi fort que vous pouvez pour mettre en évidence une injustice que vous subissez ? J’aimerais fanfaronner et vous dire que j’aurais crié de la même façon pour un autre, pour une autre… mais je vous dois d’être sincère, je ne pense pas que je l’aurais fait.
Etes-vous comme la foule ? Fermez-vous les yeux sur la misère des autres, demandez-vous même aux personnes en détresse de faire moins de bruit ?
Etes-vous comme celles et ceux qui m’ont nourri toutes ces années ? Qui m’ont donné des pièces et parfois de la nourriture, parfois se sont assis à mes côtés pour porter avec moi, un instant, le poids de mon malheur ?
Avant tout, vous êtes vous-même. Ne vous laissez pas enfermer dans une image. Vous êtes libres de vivre chaque jour le miracle du changement, du changement de regard, du changement d’attitude. C’est Jésus lui-même qui vous y invite, sous le regard de son Père céleste qui est aussi le vôtre… L’Esprit vous y aidera.
Amen.
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