Voici une lettre, reçue il y a quelques jours, que je me suis efforcé de traduire dans un français que j’espère compréhensible. Je ne vous cache pas ma surprise, elle a été écrite au premier siècle de notre ère… Je me propose de vous la lire, sans faire de commentaire, sinon lorsqu’il est nécessaire d’apporter un éclairage particulier sur un mot ou une expression.
Paul, Paul, apôtre de Jésus Christ par la volonté de Dieu aux saints — c’est-à-dire à ceux que Dieu a appelés pour lui appartenir — et fidèles en Jésus Christ qui sont dans la région de Lavaux.
Béni soit Dieu qui vous a si richement bénis en Jésus Christ et qui de vous, qui pour la plupart n’êtes pas juifs, a fait son peuple aimé. Il vous a choisis pour que vous soyez témoins de sa tendresse et de sa miséricorde — la miséricorde, c’est la corde tendue vers notre misère — adressées à tous les hommes et à toutes les femmes, quelles que soient leurs origines, leurs provenances, leurs coutumes.
J’ai entendu parler de vos églises construites depuis fort longtemps déjà et des liens qui vous rattachent à l’Etat. Pour moi, c’est impensable et déroutant, puisque je suis moi-même persécuté et emprisonné parce que j’annonce l’Evangile.
Que l’Etat vous apporte son soutien et rétribue vos pasteurs et vos différents serviteurs est bien le signe que l’on vous fait confiance et que l’on pense votre service utile pour l’ensemble de la société. Je vous en prie, par votre dévouement, votre désir de bien faire et de faire le bien, montrez-vous dignes de la confiance de Dieu et de la confiance des hommes, en vous mettant au service des plus démunis, de ceux qui ne sont pas au bénéfice d’une même attention, de ceux qui souffrent parce qu’ils vivent dans la précarité.
Et même si aujourd’hui l’Etat ne peut plus contribuer autant que vous le souhaiteriez, sachez que moi, Paul, je n’ai jamais envisagé que des impôts prélevés sur l’ensemble des citoyens romains pourraient un jour permettrent la vie de l’Eglise. J’ai souvent reçu, des Eglises que j’ai fondées, le soutien financier dont j’avais besoin pour annoncer l’Evangile. Mais plus encore, je réclame leur prière pour que malgré les chaînes qui me tiennent rivé au murs de ma cellule, je puisse être témoin de l’amour de Dieu, ici et où Dieu me conduira s’il me prête vie.
Je dois encore vous faire un aveu. Jamais je n’ai imaginé qu’un pays puisse se doter d’une constitution commençant par l’invocation du Dieu Tout-puissant. Au moment où je vous écris, on dresse dans toutes les villes d’Orient des temples à la gloire de l’Empereur et je crains que dans quelques temps on ne nous oblige, par la contrainte et par la force, à adorer un homme et à sacrifier en son honneur. Si ce jour-là arrive, je sais que beaucoup seront d’accord d’y laisser leur vie pour que la vérité de Dieu soit encore manifestée.
Quelle liberté donc que la vôtre ! Quelle liberté de pouvoir rendre à Dieu le culte qui lui convient sans avoir à rendre compte devant les hommes, les gouvernants et les seigneurs, de votre foi et de votre engagement. Je vous envie, frères et sœurs, pour la liberté que vous avez de vous exprimer et je prie pour que vous compreniez et mesuriez le privilège qui est le vôtre et je prie pour que vous compreniez et mesuriez la situation de ceux qui sont menacés ou persécutés dans leur pays à cause d’une opinion politique ou religieuse.
Je vous envie si votre liberté vous permet d’aller au secours des plus faibles et d’ouvrir votre cœur à ceux qui souffrent. Mais je ne vous envie pas si cette même liberté devient pour vous source de désintéressement, de laisser aller ou d’indifférence.
Je vous ferai encore un autre aveu. J’ai appris que votre pays, depuis fort longtemps, est une réelle démocratie, accordant à chacun de ses citoyens un vrai pouvoir de décision et la capacité de proposer des lois ou l’amendement d’une loi, son adoucissement, voir son abrogation. En écrivant cela, je suis ému. Moi qui pourtant suis citoyen romain, je croupis dans une prison, sans avoir eu la possibilité d’expliquer mes intentions, toujours dans l’attente d’une décision. Mais je sais que Dieu est fidèle et que même ma mort servira à l’annonce de la bonne nouvelle.
En écrivant cela, je le répète, je suis ému, car dans l’Empire où je vis, seule une toute petite minorité d’hommes — c’est-à-dire de mâles — peuvent voter et avoir une influence politique. Votre pouvoir et votre liberté me semblent presque illimités. Que Dieu vous envoie l’Esprit pour discerner les vraies priorités, celles qui placent la personne d’autrui au centre.
Vous le savez, il n’y a parmi vous que peu de croyants d’origine juive. Vous êtes pour la plupart venus du monde païen, et cela pour la plus grande joie de Dieu. Vous accomplissez ainsi le rêve que je fais et pour lequel je souffre de voir les différences entre les êtres humains ne plus devenir des obstacles ou des murs. Vous êtes les témoins de la réconciliation, accomplie et proclamée dans le Christ : faire de tous les peuples un peuple aimé de Dieu. Faire de tous les êtres humains une humanité nouvelle, éclairée par l’amour de Dieu en Jésus le Christ.
Je sais que votre pays, après une longue période de stabilité et de croissance, doit faire face à des difficultés nouvelles. Mais malgré ces difficultés qu’il ne faudrait pas négliger, vous demeurez pour beaucoup comme un havre de paix, comme un lieu enviable pour y vivre librement. Je sais que vous avez été par le passé, un peuple généreux, ouvrant ses frontières et ses villes pour des chrétiens persécutés, pour des juifs poursuivis. Je sais que vous avez fondés des institutions remarquables pour aller au secours des plus démunis. Je sais que l’une de vos villes accueille le siège d’organismes internationaux qui luttent en faveur des réfugiés et des victimes des guerres qui déchirent le monde. Je sais cela. Mais je sais aussi que fortes sont les tentations du repli, du durcissement des lois, de la fermeture du cœur. Je prie pour que Dieu illumine les yeux de votre cœur, pour que vous compreniez la richesse de l’appel du Christ et la grandeur de votre responsabilité.
Un point encore. Le risque est grand, et je le sais dans ma chair, c’est un prisonnier qui vous parle, le risque est grand de vouloir lutter avec les armes de la haine, de diaboliser ceux qui pensent autrement, de diaboliser ceux qui menacent nos équilibres. Chers frères et sœurs apprenez à vous battre, non avec les mots du mépris ou du rejet, non avec la méfiance et la défiance, mais avec les armes de l’amour et de la tendresse, avec les mots de la prière. Ne confondez jamais un être humain avec le diable, ne voyez jamais en celui qui pourrait être un ennemi de votre tranquillité la présence même du mal. Ce ne sont pas contre des hommes que nous avons à nous battre. Non. Mais contre des puissances spirituelles. Oui, prenez en compte les puissances spirituelles qui cherchent à nous dominer, l’égoïsme et la peur de l’autre, la recherche du confort et de la sécurité, la fuite devant l’effort, la force de l’économie, la haine et la violence. Contre elles, il n’y a pas d’autres armes que la prière qui transforme celui qui prie et l’action inspirée par l’Evangile, la bonne nouvelle que Dieu adresse à tous les hommes. C’est là ma prière pour vous et pour moi-même : que l’Esprit de Dieu inspire nos décisions. Et puisque vous avez un vrai pouvoir politique, que l’Esprit de Jésus Christ, l’Esprit du Royaume qui vient, inspire votre réflexion et votre action et vous aide à discerner ce qui vient des puissances mauvaises à l’œuvre dans notre humanité pour les combattre et que triomphe, comme des signes d’espérance, la force de l’amour.
Chers frères et sœurs, priez pour moi, pour que dans mes chaînes, je ne méprise ni ceux qui me gardent, ni ceux qui pourraient me condamner, mais que, bien que faible, la puissance de l’amour me soit donnée et la liberté d’annoncer l’amour de Dieu.
Paix aux frères et sœurs, amour et foi de la part de Dieu le Père de tous les hommes et de la part de Jésus, le Christ, le Sauveur de tous les hommes. Que la grâce soit avec vous, vous qui aimez le Christ de tout votre cœur et qui attendez en agissant la venue de son Règne.
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