Est-il permis ? Ai-je le droit de faire ou de ne pas faire ? Est-ce que c’est interdit ? Est-ce que c’est obligatoire ?
En posant la question de la permission de se séparer de sa femme, de la répudier, les Pharisiens traduisent leur conception de Dieu et leur conception de l’être humain. Le Dieu qu’ils respectent est le Dieu de la Loi, le Dieu du commandement, de la permission et de l’interdiction. Le Dieu au-dessus à qui l’humain rend des comptes.
C’est le Dieu amoureux des listes, des codes, des énumérations, des comptes, des recensements. Avec lui, il y a deux colonnes, le noir et le blanc. Le gris ne lui est pas connu. Et encore moins la couleur. C’est un Dieu binaire, un Dieu informatique, un Dieu du oui ou du non, mais jamais du oui et du non, qui ne reconnaît pas la complexité de la vie dans son ensemble et de la vie humaine en particulier.
En posant ainsi la question — est-il permis ? — les Pharisiens ne sont-ils pas finalement proches de nous ? Proches de nos inquiétudes et de nos interrogations. Bien sûr, les Pharisiens cherchent à piéger Jésus et à le prendre en contradiction avec la Loi de Moïse. Mais au-delà de cet aspect, ne sont-ils pas proches de nous dans la manière de poser la question ?
Interdire ou permettre, autoriser ou rendre obligatoire, ces verbes reviennent souvent dans nos journaux et dans nos conversations.
Ils traduisent nos inquiétudes pour aujourd’hui et pour demain et ce sentiment étrange et désagréable d’un délitement des relations, d’une désintégration du tissu social, d’une perte du sens de la responsabilité, d’une absence de perspectives à longs termes.
Ce pressentiment d’être à un tournant majeur de l’histoire humaine, mais sans savoir quand et où il faut tourner, cette impression d’être au bord du gouffre et de ne pouvoir rien faire pour freiner le mouvement qui nous y pousse.
Le commandement — l’interdiction, la permission, l’obligation — se présente alors comme une sorte de rempart pour endiguer le désordre, pour conjurer la menace, pour limiter ou exclure le risque. Il suffirait d’interdire… il suffirait d’obliger…
Le recours permanent au commandement et à la loi dit aussi quelque chose sur la vision que l’on peut avoir de l’être humain. Un être qu’il faut corriger, cadrer et conduire comme on le fait avec un fleuve. Un être à qui l’on ne peut faire confiance. Un être qui ne peut être capable de choix raisonné et raisonnable.
Avec une telle vision des choses, je n’espère plus le changement d’autrui et le mien, je ne peux pas faire appel à sa capacité de penser, d’imaginer, de comprendre.
La loi de Moïse qui permet la répudiation va dans ce sens, elle est une concession faite à la dureté du cœur. Comme une triste reconnaissance que le cœur de l’être humain a perdu de sa souplesse et que sur lui le mal a trouvé prise. Ainsi la femme n’est plus alors considérée comme c’est autre moi-même différent et semblable, mais comme un objet dont je peux me défaire d’un simple billet.
Lorsque Jésus répond aux Pharisiens, il les renvoie à ce qui se trouve au principe de la Création — ce que l’on traduit par commencement et qui risque de focaliser sur le seul début de la création. Le propos de Jésus vise non seulement le passé, mais ce qui est encore au cœur du projet de Dieu. Ce qui préside à la création de l’être humain et du couple n’est pas seulement vrai pour l’histoire ancienne mais pour aujourd’hui encore. Ce qui est au principe de la création peut orienter aujourd’hui le comportement de chacun.
L’image de Dieu se révèle dans le masculin et le féminin et dans l’union des deux. Unité et diversité reconnues et assumées dans et par le couple, unité et diversité mises en scène. Unité et diversité qui disent le mystère de Dieu.
Voilà le projet de Dieu, que l’homme et la femme, semblables et différents, reflètent son image dans leur union. Il n’en dit pas plus. Il n’en dit pas le comment. Il laisse au couple le soin d’inventer la vie qui le mieux saura dire la diversité et l’unité. Dieu crée et se retire, laissant à l’être humain la responsabilité de créer à son tour.
Au principe de la création, Dieu ne légifère pas. Il donne carte blanche à l’humain pour apprendre et découvrir la vie. Avec pour seul interdit de manger la différence, de gommer le dissemblable, de faire disparaître ce qui me constitue comme autre, comme prochain pour l’autre. Mâle et femelle, Dieu les crée, dans la reconnaissance d’une singularité qui invite à la relation : tu as ce que je n’ai pas, tu es ce que je ne suis pas, ensemble nous serons plus que la seule addition de nos deux êtres, nous serons image de Dieu.
Au principe de l’Evangile, Jésus ne légifère pas. Il rappelle seulement le principe de la création, l’immense liberté accordée à l’être humain pour qu’il invente la vie, dans le respect de l’autre, dans le refus de manger l’autre et de le faire disparaître.
Ainsi, à la question des Pharisiens, Jésus ne peut pas répondre autrement que par une invitation à la conversion. Les problèmes des êtres humains ne se résolvent pas par une permission ou une interdiction — aussi utiles et nécessaires soient-elles —, mais par un changement d’orientation du cœur et de l’intelligence.
En accueillant au principe de ma vie la vie de Dieu telle qu’elle se donne à connaître de manière unique et exemplaire dans le Christ qui offre sa vie pour que je vive.
Penser en termes de permission, d’interdiction, d’obligation, c’est renoncer à mettre au centre de ma vie le principe de la création qui institue chacun comme responsable capable de reconnaître l’autre en sa ressemblance et en sa différence. Penser en termes de permission, d’interdiction, d’obligation, c’est souhaiter être libre de la complexité humaine. C’est renoncer à ce qui fait notre dignité d’être en image de Dieu, capable d’invention.
Nous sommes invités à vivre selon le principe de la création et de l’Evangile qui fait confiance en l’humain pour inventer les chemins de la vie où Dieu se reflètent.
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